Munoz Stéphane

Je m’appelle Stéphane Munoz, et je suis cartonniste. Depuis plus de 15 ans, je travaille une matière que beaucoup jettent sans y prêter attention : le carton. Ce matériau, à la fois humble, léger, robuste et largement disponible, est devenu le cœur battant de ma pratique artistique. Sculptures monumentales, mobilier sur-mesure, pièces décoratives : je transforme le carton en œuvres uniques, expressives et profondément engagées. Ce qui n’était au départ qu’un bricolage de fortune est devenu au fil des années une véritable démarche artistique, professionnelle et écologique.


Mon histoire avec le carton

Tout a commencé en 2007. À cette époque, je suis déjà passé par les Beaux-Arts de Toulouse, de Santa Cruz de Tenerife en Espagne, et j’ai obtenu un Master II en ingénierie et animation territoriale à Bordeaux. Mon parcours m’a amené à travailler aux côtés de figures majeures de l’art contemporain : Joël Hubaut, Jean-Pierre Raynaud, mais aussi et surtout Jacques Villeglé, cofondateur du mouvement des Nouveaux Réalistes. J’ai eu la chance de l’assister pendant près de dix ans, de 1997 à 2007. Ensemble, nous avons sillonné les routes de France et d’Europe, explorant les lieux de diffusion musicale et les hauts lieux de l’art contemporain, jusqu’à sa rétrospective au Centre Pompidou en 2008.

Mais en 2007, c’est une autre rencontre qui bouleverse ma trajectoire : celle du carton. Je commence à l’utiliser par nécessité, pour me fabriquer des meubles fonctionnels et économiques. Je découvre rapidement les infinies possibilités qu’offre cette matière. D’abord autodidacte, je passe douze années à expérimenter, créer, assembler, apprendre par l’erreur. En 2018, je décide de franchir un cap : je me forme comme artisan cartonniste et je me lance professionnellement.


Le carton : matière artistique, matière d’avenir

Pourquoi le carton ? La réponse est simple : il est partout. C’est une matière omniprésente, disponible en abondance, et surtout gratuite. Chaque jour, des tonnes de carton sont jetées dans nos villes. J’ai rapidement vu dans cette abondance une opportunité créative et un acte militant. Le carton, c’est le symbole même de la société de consommation et en même temps, un matériau formidablement malléable, recyclable, écologique. Le détourner de sa fin programmée (la benne), pour le sublimer en œuvre d’art ou en meuble poétique, c’est déjà un acte de transformation, presque une revanche sur l’éphémère.

Le carton ne nécessite pas de machines lourdes ou d’ateliers industriels. Avec un cutter, une règle, un pistolet à colle et un peu de patience, il est possible de créer des pièces solides, durables, originales. Là où le bois ou le métal imposent des contraintes techniques et financières, le carton libère. Il permet d’expérimenter, d’imaginer sans limites, de rater, de recommencer. Pour moi qui suis resté fidèle à l’esprit de débrouille des Beaux-Arts, ce matériau est devenu une évidence.


Une démarche artisanale et artistique

Mon processus de création débute toujours de la même manière : par un croquis. Je griffonne mes idées, je cherche des formes, des volumes, des équilibres. Une fois le dessin affiné, je le reproduis à taille réelle sur une plaque de carton. Ce gabarit me permet de découper les profils qui serviront de base à la structure.

Chaque meuble ou sculpture a sa propre architecture interne, conçue en fonction de son usage : un fauteuil n’a pas les mêmes contraintes mécaniques qu’une table ou qu’un totem sculptural. J’assemble des dizaines, parfois des centaines de petits morceaux de carton pour constituer une armature interne robuste. Ensuite, je viens coller une coque externe, elle aussi entièrement en carton, qui vient envelopper et renforcer l’ensemble.

Le secret de la solidité de mes créations réside dans cette double structure : intérieure et extérieure. Je travaille manuellement, sans machines électriques. Tout est fait à la main, avec une précision que j’ai peaufinée au fil des années.


Le kraftage : une étape-clé

Une fois l’assemblage terminé, je passe à l’étape du kraftage. Il s’agit de recouvrir chaque face de l’objet avec du papier kraft marouflé, en bandes croisées, pour consolider l’ensemble et masquer les irrégularités du carton brut. Ce procédé confère au meuble une véritable peau uniforme, à la fois esthétique et résistante. Je peux appliquer plusieurs couches de papier pour renforcer certaines zones ou corriger des imperfections.

Le meuble peut être laissé brut, avec son fini kraft naturel, ou être décoré selon l’inspiration ou les souhaits du client : peinture, papier décoratif, résine, vernis, textures… Chaque pièce est unique, fruit d’un long processus mêlant artisanat, design et poésie.


Le carton dans l’espace public

Au-delà du mobilier, je crée également des sculptures en carton, parfois monumentales. Dans ce cas, le processus est encore différent. Je commence par concevoir mes œuvres en 3D sur ordinateur, à l’aide de logiciels de modélisation. Une fois le volume défini, je le décompose en plans 2D pour en extraire les surfaces à découper. Chaque pièce est ensuite reportée sur du carton, découpée, pliée, puis patiemment collée, pour reconstituer la forme finale.

Ce travail demande une grande précision, beaucoup de patience, mais aussi une vision claire du volume dès les premières étapes. Chaque sculpture devient un puzzle géant, où chaque fragment a son importance. J’y trouve une vraie liberté formelle, un moyen d’explorer le carton dans toutes ses dimensions, bien au-delà de sa fonction utilitaire. Ce sont des œuvres qui prennent vie dans l’espace public, qui s’imposent sans agressivité, par leur poésie, leur étrangeté, leur pouvoir de suggestion.

Ce travail de sculpture me permet d’explorer des thématiques qui me sont chères : la métamorphose, la résilience, l’empreinte de l’homme sur son environnement. Travailler avec du carton recyclé dans des œuvres visibles de tous, au détour d’une rue ou d’une place, c’est aussi une manière de faire passer un message. L’art devient un vecteur de dialogue, d’émerveillement, mais aussi de prise de conscience. C’est une manière d’interpeller sans choquer, de toucher sans imposer, de provoquer une réflexion tout en suscitant l’émotion.

C’est dans cet esprit qu’est né le parcours artistique à ciel ouvert à Agen, une exposition que je suis fier de proposer du 26 juin au 30 octobre 2025. Huit sculptures monumentales en carton seront installées dans différents lieux emblématiques du centre-ville, en partenariat avec l’Agence du Commerce d’Agen, la Ville, les commerçants, l’agglomération et Groupama. Chaque œuvre est accompagnée d’un cartel explicatif et d’un QR code permettant aux visiteurs d’entrer dans mon univers, de comprendre ma démarche et de découvrir les coulisses de la création.

Ce projet est bien plus qu’une exposition : c’est une invitation à voir la ville autrement, à ralentir, à s’émerveiller, à dialoguer. Il incarne aussi ce que je défends depuis toujours : un art accessible, participatif, qui s’inscrit dans le quotidien et le transforme. Une sculpture en carton, au milieu d’une place ou d’une vitrine, ce n’est pas anodin. C’est une respiration, un pas de côté, un moment suspendu. Et c’est dans ces moments-là que l’art trouve toute sa puissance.


Un art en carton, mais pas au rabais

Aujourd’hui, je suis fier d’avoir fait du carton mon métier, mon médium, mon manifeste. Ce matériau si souvent négligé est pour moi une source inépuisable d’inspiration. À travers lui, je raconte une histoire de récupération, de transformation, de création. Un art engagé, accessible, respectueux de l’environnement, et profondément humain.

Mon travail de cartonniste est à la croisée de plusieurs mondes : le design, l’artisanat, la sculpture, le développement durable. Il me permet de rester libre, inventif, et fidèle à mes convictions. Le carton, c’est bien plus qu’un matériau. C’est un langage. Et je continuerai à le parler aussi longtemps qu’il y aura des gens pour écouter ce qu’il a à dire.

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